Au Pérou, les "gardiens des lacs" résistent
contre le projet de mine Conga
Par Chrystelle Barbier
Sorochuco (Pérou), envoyé spécial
Un des cinq lacs menacés par le projet de mine Conga, à Cajamarca. |
Dans ses yeux, une profonde détermination. Comme si elle n'avait pas d'autre choix
que d'être là, dans ce campement de fortune situé à 4 100 mètres d'altitude, au
sommet d'un des monts de Cajamarca, dans le nord du Pérou. "On est là
pour défendre notre eau", résume Maritza Bolanos. En ce début août,
l'agricultrice montre du doigt une colline pelée, derrière laquelle s'étend le
Pérol, un grand lac servant de source aux rivières qui ruissellent dans la
vallée alentour.
Un lac que
Maritza Bolanos et ses voisins ont décidé de protéger de Conga, un immense
projet de mine d'or et de cuivre à ciel ouvert en lieu et place de l'actuelle
étendue d'eau. "Ils veulent faire du Pérol un immense cratère mais on
ne laissera personne s'en approcher", avertit la jeune femme.
Comme
Maritza Bolanos, une quarantaine de villageois de Sorochuco, le district auquel
appartient cette partie des Andes, se trouvent en permanence sur le campement
et surveillent qu'aucun engin de la mine ne s'approche du lac. Parmi eux se
trouvent des hommes, des femmes et des enfants venant des quatre coins du
district.
POUR CES
HABITANTS, LA LUTTE CONTRE CONGA COMMENCE EN 2011
Au Pérou, on
les connaît comme les "gardiens des lacs". "Une relève
a lieu tous les trois jours pour qu'il y ait toujours des gens présents",
explique Maria Teresa Medina, une autre agricultrice qui a laissé sa fille et
ses champs pour assurer son tour de garde.
Pour ces
habitants de Sorochuco, la lutte contre Conga a commencé en 2011. Comme des
milliers d'habitants de Cajamarca, ils ont manifesté pendant des mois contre le
projet minier qui, selon eux, mettra en danger leurs ressources hydriques.
Considéré
comme l'investissement le plus important du secteur – 4,8 milliards
de dollars (3,6 milliards d'euros) sur dix-neuf ans –, Conga prévoit la
disparition de cinq lacs situés à plus de 4 000 mètres d'altitude. Des lacs qui
feront place à une immense mine à ciel ouvert et à un espace destiné aux
déchets et aux eaux sales. "Or notre eau vient du Pérol",
dénonce Maruja Ortiz, une commerçante de Sorochuco, convaincue que si Conga
opère, il n'y aura plus d'eau pour l'agriculture dont vit la région.
LA BATAILLE
A REPRIS EN JUIN
Face à la
multiplication des manifestations, l'entreprise américaine Newmont, principale
actionnaire de Conga, a suspendu ses opérations fin 2011, mais ce n'est qu'en
août 2012, lorsque le gouvernement a confirmé la "suspension"
du projet après la mort de cinq manifestants, que la population a vraiment
cessé de se mobiliser.
Rassurés par
cette annonce, les habitants de Sorochuco étaient retournés à leurs activités.
Mais la lutte a repris en juin, au lendemain des déclarations des dirigeants de
Conga, annonçant la construction prochaine de la réserve du Pérol.
Car si le
projet minier est officiellement suspendu, l'entreprise a reçu l'autorisation
de construire des réserves d'eau. Pour Newmont, ces réserves prouveront aux
habitants qu'elles peuvent alimenter les vallées en eau et donc que le projet
Conga n'est pas un risque pour la région. Selon l'entreprise, "la
réserve du Pérol aura une capacité de 800 000 m3 et pourra fournir
de l'eau toute l'année, même en période sèche, ce que ne fait pas le lac
aujourd'hui".
"UNE
RÉSERVE ARTIFICIELLE NE PEUT REMPLACER UN LAC NATUREL"
L'argument
ne semble pas convaincre la population locale. "Qui va s'occuper de la
maintenance quand la mine ne sera plus là ?", s'interroge Maritza
Bolanos. Persuadée qu'"une réserve artificielle ne peut remplacer un
lac naturel qui fonctionne depuis des millénaires", elle s'oppose
comme nombre de ses voisins à ce que Newmont transvase l'eau du lac vers la
réserve.
Le 17 juin,
plus de 4 000 habitants de Sorochuco se sont rendus au Pérol. Sur place, ils
ont trouvé des traces de machines. Il n'en fallait pas plus pour relancer le
combat et installer un campement en surplomb du lieu où la mine a prévu de
construire la réserve.
Sans
ressource, les habitants y ont installé des toiles en plastique en guise de
tentes pour protéger les matelas qu'ils montent peu à peu. "On souffre
du froid et de la pluie", confie Fabian Chavez, qui travaille dans la
construction et a dû prendre des jours de congé pour assurer sa garde.
"LA
LUTTE, C'EST NOUS, LES PAYSANS, QUI LA MENONS"
Pour
Newmont, les gardiens des lacs ne seraient qu'un "groupe de quinze
personnes". L'entreprise assure que des centaines de personnes vivant
dans les environs soutiennent le projet minier. Dans la presse locale, les
"gardiens" sont aussi souvent accusés d'être manipulés par des
groupes anti-miniers.
"La
lutte, c'est nous, les paysans, qui la menons", se défend Maritza Bolanos, qui
reconnaît toutefois que l'ambiance dans le district est mauvaise depuis Conga. "C'est
sûr que la mine apportera quelques emplois, mais valent-ils la peine de
détruire l'environnement dont on a besoin pour l'agriculture ?",
dénonce Maruja Ortiz. A Sorochuco, les opposants à la mine sont résolus à ne
pas baisser la garde.
- Chrystelle Barbier (Sorochuco
(Pérou), envoyé spécial)
Journaliste au Monde
Buena Marujita así se habla, estamos contigo todos los sorochuqinos q estamos lejos.Pero el día q sea necesario ya sabes q estaremos alli.
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