Publication: 18/02/2014
LA COOPÉRATION FRANCE-PÉROU FOULE-T-ELLE AU PIED LES DROITS DE L'HOMME ?
Emmanuel Poilane
Directeur Général de France Libertés Fondation Danielle Mitterrand
Directeur Général de France Libertés Fondation Danielle Mitterrand
Le 13 janvier 2014
le Congrès de la République du Pérou a adopté la loi n° 30151 qui
modifie le code pénal et stipule que "'sont exempts de responsabilité
pénale le personnel des Forces Armées et de la Police Nationales du
Pérou qui, dans l'exercice de leurs fonctions, par l'utilisation de leur
arme ou d'un autre moyen de défense, cause des lésions ou la mort".
Cela
peut raisonnablement être interprété comme permettant n'importe quelle
utilisation de la force, même si celle-ci est illégale selon le droit
international .
La Fondation France Libertés, comme beaucoup
d'acteurs de la société civile, est grandement préoccupée quant aux
risques de répression du mouvement d'opposition au projet minier Conga
que nous aidons depuis plusieurs années pour faire valoir leur droit à
l'eau. Nous nous interrogeons notamment sur le rôle qu'aurait pu jouer
la gendarmerie française dansla formation de la police péruvienne à
Cajamarca sur le maintien de l'ordre public en novembre 2012.
Cette
formation de trois semaines a consisté à "expliquer les standards
internationaux en matière d'usage de la force pour contrôler des
manifestations sans faire de victimes", a expliqué Pedro Villanueva,
représentant du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) au Pérou,
en Bolivie et en Equateur, hôte de la formation.
"Le message est
que l'on peut utiliser la force pour contrôler des manifestations mais
en respectant les droits humains fondamentaux et la meilleure façon de
le faire est de disposer d'une police qui maîtrise les standards
internationaux [...] La France a cette expertise technique, c'est pour
cela que nous avons fait venir deux instructeurs du Centre d'excellence
européen de l'ordre public, dont le siège est en France", a ajouté Pedro
Villanueva.
Une formation, cinq morts par balles!
Malheureusement,
nous pouvons douter des effets d'une telle formation quand nous savons
qu'elle s'est déroulée à proximité du site du projet minier Conga, porté
par le géant américain Newmont-Buenaventura, face auquel les
populations locales résistent activement depuis plus de deux ans avec
l'appui de leurs représentants politiques locaux. La répression de ce
mouvement a déjà fait cinq morts parmi les manifestants depuis 2012.
"L'expertise"
française en matière de coopération militaire au Pérou n'est pas sans
rappeler la polémique autour des propos de la ministre des affaires
étrangères d'alors, Michèle Alliot-Marie, qui, en pleine révolution
tunisienne en 2011, déclarait que "le savoir-faire, reconnu dans le
monde entier, de nos forces de sécurité, permet de régler des situations
sécuritaires de ce type".
Au regard de l'action de notre
Ministère des Affaires Étrangères et de notre Ministère de l'Intérieur,
il nous faut nous interroger car il semble que l'ambition économique des
relations avec le Pérou semble faire oublier notre responsabilité
internationale en tant que "Pays des Droits de l'Homme".
Nous ne
pouvons laisser le pragmatisme économique qui était le cœur de la
visite de notre Ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, au
Pérou en janvier 2013, nous envahir et fouler au pied les valeurs de notre République par des coopérations policières indignes de la France.
Lire aussi:
•La Cour Internationale de Justice, le Pérou, le Chili et quelques questions de forme, par Nicolas Boeglin
•Amérique latine: le réveil des sociétés civiles, par Georges Couffignal
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire